La Lithiase Urinaire : Guide Complet de Prise en Charge
Comprendre la lithiase urinaire
La lithiase urinaire, communément appelée "calculs rénaux" ou "pierres aux reins", représente une pathologie urologique fréquente caractérisée par la formation de concrétions cristallines dans les voies urinaires. Cette affection, souvent récidivante, nécessite une prise en charge spécialisée adaptée à chaque patient. L'Association Marocaine d'Urologie (AMU) présente ici un guide complet destiné aux professionnels de santé, abordant les aspects cliniques, diagnostiques et thérapeutiques de cette pathologie complexe.
I. Définition et classification de la lithiase urinaire
Définition médicale précise
La lithiase urinaire se définit comme la présence de concrétions solides (calculs) formées par précipitation et cristallisation de solutés normalement dissous dans l'urine. Ces calculs peuvent se développer à tous les niveaux de l'appareil urinaire : reins, uretères, vessie et urètre.
Terminologie médicale standardisée :
Néphrolithiase : calculs localisés dans le rein
Urétérolithiase : calculs dans l'uretère
Lithiase vésicale : calculs dans la vessie
Lithiase urétrale : calculs dans l'urètre
Classification internationale CIM-11
Selon la Classification Internationale des Maladies (CIM-11), la lithiase urinaire est codifiée comme suit :
GB50 - Calculs des voies urinaires :
GB50.0 : Calculs du rein et de l'uretère
GB50.1 : Calculs de la vessie
GB50.2 : Calculs de l'urètre
GB50.Y : Autres calculs des voies urinaires spécifiés
GB50.Z : Calculs des voies urinaires, sans précision
Sous-classifications cliniques :
Calculs radio-opaques vs radio-transparents
Calculs obstructifs vs non obstructifs
Lithiase simple vs complexe (récidivante)
Lithiase infectieuse vs métabolique
Types de calculs selon leur composition
🔬 Classification chimique des calculs :
Calculs calciques (80-85% des cas) :
Oxalate de calcium monohydraté (whewellite)
Oxalate de calcium dihydraté (weddellite)
Phosphate de calcium (brushite, apatite)
Formes mixtes calcium-oxalate-phosphate
Calculs non calciques (15-20% des cas) :
Acide urique et urates (6-8%)
Struvite - phosphate ammoniaco-magnésien (6-8%)
Cystine (1-2%)
Calculs médicamenteux rares (<1%)
II. Symptomatologie clinique de la lithiase urinaire
Manifestations cliniques typiques
⚡ Colique néphrétique : le maître-symptôme
La colique néphrétique représente la manifestation clinique la plus caractéristique :
Caractéristiques de la douleur :
Début brutal et paroxystique
Intensité maximale d'emblée (douleur "en coup de poignard")
Siège lombaire irradiant vers les organes génitaux externes
Agitation du patient (ne trouve pas de position antalgique)
Évolution cyclique par vagues douloureuses
Topographie douloureuse selon la localisation :
Calcul pyélique : douleur lombaire pure
Calcul urétéral proximal : irradiation vers la fosse iliaque
Calcul urétéral distal : irradiation scrotale ou labiale
Calcul juxta-vésical : signes irritatifs vésicaux
Signes associés et complications
🤢 Manifestations digestives réflexes :
Nausées et vomissements (80% des cas)
Iléus réflexe (distension abdominale)
Subocclusion intestinale dans les formes sévères
Diarrhée réflexe occasionnelle
🔴 Signes urinaires pathognomoniques :
Hématurie macroscopique ou microscopique (90% des cas)
Oligurie ou anurie (calcul obstructif bilatéral)
Pollakiurie et brûlures mictionnelles (calcul distal)
Rétention aiguë d'urine (calcul urétral terminal)
🌡️ Signes de gravité et complications :
Fièvre : suspicion de pyélonéphrite obstructive
Frissons : risque de choc septique
Anurie : obstruction bilatérale ou sur rein unique
Altération de l'état général : déshydratation, choc
Formes cliniques particulières
Lithiase asymptomatique (20-30% des cas) :
Découverte fortuite lors d'imagerie abdominale
Calculs de petite taille non obstructifs
Localisation calicielle ou pyélique
Surveillance active recommandée
Lithiase chronique récidivante :
Douleurs lombaires sourdes chroniques
Episodes de coliques répétées
Altération progressive de la fonction rénale
Nécessité d'un bilan métabolique approfondi
Formes pédiatriques spécifiques :
Symptomatologie souvent atypique
Douleurs abdominales diffuses
Troubles digestifs prédominants
Recherche systématique de causes métaboliques
III. Diagnostic de la lithiase urinaire
Démarche diagnostique clinique
🩺 Interrogatoire dirigé :
Caractérisation de la douleur :
Circonstances de survenue et facteurs déclenchants
Siège précis et irradiations
Intensité sur échelle visuelle analogique
Modalités évolutives et facteurs de soulagement
Antécédents personnels et familiaux :
Episodes antérieurs de coliques néphrétiques
Notion d'élimination spontanée de calculs
Antécédents familiaux de lithiase
Pathologies métaboliques associées
Facteurs de risque :
Habitudes alimentaires et hydratation
Activité professionnelle et exposition à la chaleur
Traitements médicamenteux
Maladies digestives ou endocriniennes
Examens paracliniques essentiels
🔬 Analyses biologiques :
Bilan sanguin de base :
Créatininémie et estimation du DFG
Ionogramme sanguin (Na, K, Cl, bicarbonates)
Calcémie, phosphorémie, uricémie
NFS, CRP (recherche de syndrome infectieux)
Analyse urinaire :
ECBU systématique avec antibiogramme si positif
Bandelette urinaire (hématurie, leucocyturie, nitrites)
pH urinaire (orientation étiologique)
Cristallurie (recherche de cristaux pathologiques)
📡 Imagerie médicale :
Scanner abdomino-pelvien sans injection :
Examen de référence (sensibilité 97%, spécificité 96%)
Localisation précise et taille des calculs
Évaluation du retentissement (dilatation des cavités)
Mesure de la densité (orientation sur la composition)
Diagnostic différentiel avec autres causes de douleur
Échographie rénale et vésicale :
Examen de première intention non irradiant
Mise en évidence de la dilatation pyélocalicielle
Visualisation des calculs échogènes
Évaluation de l'épaisseur parenchymateuse
Mesure des index de résistance artérielle
Abdomen sans préparation (ASP) :
Visualisation des calculs radio-opaques
Suivi simple et économique de l'évolution
Contrôle post-thérapeutique
Accessible dans tous les centres
Explorations spécialisées
🧪 Bilan métabolique de la lithiase :
Urine de 24 heures (collecte contrôlée) :
Volume urinaire (objectif > 2 litres)
Calciurie (normale < 7 mmol/24h homme, < 6 mmol/24h femme)
Oxalurie (normale < 0,5 mmol/24h)
Uraturie (normale < 4 mmol/24h)
Citraturie (normale > 1,5 mmol/24h)
Magnésurie, phosphaturie, natriurie
Analyse chimique des calculs :
Spectrophotométrie infrarouge (méthode de référence)
Identification précise de la composition
Orientation thérapeutique et préventive
Récupération par filtration urinaire
IV. Stratégies thérapeutiques modernes
Prise en charge de l'urgence lithiasique
🚨 Traitement de la colique néphrétique aiguë :
Antalgie multimodale :
AINS : diclofénac 75 mg IM ou IV (si fonction rénale normale)
Antispasmodiques : phloroglucinol 80 mg IV lente
Paracétamol 1g IV en association
Morphiniques si douleur réfractaire (morphine 0,1 mg/kg)
Mesures adjuvantes :
Position antalgique libre du patient
Éviter la surhydratation en phase aiguë (majore la douleur)
Surveillance clinique rapprochée
Prévention des vomissements : métoclopramide
Critères d'hospitalisation :
Douleur incontrôlable malgré traitement adapté
Signes infectieux (fièvre, frissons)
Anurie ou oligurie sévère
Vomissements incoercibles avec déshydratation
Insuffisance rénale aiguë
Terrain particulier (rein unique, immunodépression)
Indications de drainage urgent
⚡ Situations d'urgence absolue :
Pyélonéphrite obstructive :
Fièvre + calcul obstructif = urgence vitale
Drainage en urgence < 6 heures
Hémocultures avant antibiothérapie
Réanimation en milieu spécialisé
Anurie sur obstruction :
Calculs bilatéraux obstructifs
Calcul sur rein unique anatomique ou fonctionnel
Oligurie < 500 mL/24h
Élévation rapide de la créatininémie
Techniques de drainage :
Sonde urétérale JJ : voie rétrograde endoscopique
Néphrostomie percutanée : voie antégrade radiologique
Choix selon anatomie et expertise disponible
Traitement médical expulsif (TME)
💊 Protocoles de traitement conservateur :
Indications du TME :
Calculs urétéraux ≤ 10 mm
Absence de signes infectieux
Douleur contrôlée par antalgiques
Fonction rénale conservée
Patient compliants au suivi
Molécules utilisées :
Alpha-bloquants : tamsulosine 0,4 mg/jour le soir
Inhibiteurs calciques : nifédipine LP 30 mg/jour
Anti-inflammatoires : diclofénac 50 mg x2/jour si toléré
Corticothérapie courte : prednisolone 0,5 mg/kg (max 40 mg)
Modalités de surveillance :
Consultation de contrôle à 7-10 jours
Imagerie de contrôle à 2-3 semaines
Arrêt du TME si progression ou complications
Durée maximale : 4-6 semaines
Taux de succès du TME :
Calculs < 5 mm : 85-95% d'élimination spontanée
Calculs 5-10 mm : 50-80% selon localisation
Facteurs favorables : jeune âge, calcul distal, première poussée
Techniques interventionnelles
🔧 Lithotritie extracorporelle par ondes de choc (LEC) :
Principe physique :
Génération d'ondes de choc focalisées
Fragmentation du calcul par contraintes mécaniques
Élimination spontanée des fragments
Technique non invasive ambulatoire
Indications privilégiées :
Calculs rénaux et urétéraux proximaux < 20 mm
Calculs radio-opaques de densité < 1000 UH
Absence d'obstacles anatomiques sous-jacents
Patient en bon état général
Contre-indications :
Grossesse (contre-indication absolue)
Troubles de la coagulation non corrigés
Infection urinaire active non traitée
Anévrisme aortique volumineux
Obésité morbide (difficultés de focalisation)
Protocole technique :
Jeûne de 6 heures, prémédication antalgique
Positionnement précis avec repérage imagerie
Paramètres : 14-20 kV, 2000-4000 chocs
Contrôle radiologique immédiat
Surveillance post-procédure
Résultats et complications :
Taux de succès global : 70-90% selon la localisation
Fragmentation complète : 80-85% en 1-3 séances
Complications mineures : hématurie (95%), douleur (20%)
Complications majeures rares : hématome périrénal (<1%)
🔬 Urétéroscopie et lithotritie endoscopique :
Principe technique :
Accès endoscopique direct au calcul
Fragmentation in situ par différentes énergies
Extraction des fragments sous contrôle visuel
Traitement en une séance
Types d'urétéroscopes :
Semi-rigides : uretère distal et moyen (6-10 Ch)
Souples : uretère proximal et cavités rénales (7-8 Ch)
Numériques : qualité d'image optimale
Usage unique : sécurité infectieuse maximale
Sources d'énergie disponibles :
Laser Holmium YAG : référence gold standard
Laser Thulium : émergent, fibres plus fines
Pneumatique : économique, calculs durs
Ultrasonique : calculs tendres, volumineux
Technique opératoire :
Anesthésie générale ou rachianesthésie
Introduction progressive des instruments
Fragmentation systématique petit calibre
Extraction active des fragments > 2 mm
Pose de sonde JJ si œdème ou traumatisme
Indications de l'urétéroscopie :
Échec ou contre-indication de la LEC
Calculs urétéraux distaux de toute taille
Calculs radio-transparents (acide urique)
Calculs très durs (brushite, cystine)
Urgence relative (professionnel, grossesse)
Résultats et complications :
Taux de succès : 90-98% selon la localisation
"Stone-free rate" immédiat
Complications : perforation urétérale (2-5%), sténose (<2%)
Durée d'hospitalisation : 0-2 jours
🏥 Néphrolithotomie percutanée (NLPC) :
Indications spécialisées :
Calculs rénaux > 20 mm ou surface > 400 mm²
Calculs coralliforme complets ou partiels
Calculs dans diverticules caliciels
Échec des techniques moins invasives
Anatomie défavorable à la LEC ou URS
Technique chirurgicale :
Ponction percutanée rénale échoguidée ou scopie
Dilatation progressive du trajet 12-30 Ch
Néphroscopie et fragmentation directe
Extraction des fragments volumineux
Contrôle néphroscopique de la cavité
Matériel spécialisé :
Néphroscopes rigides 24-26 Ch
Sources d'énergie : laser, ultrasonique, pneumatique
Instruments d'extraction : pinces, aspirateurs
Systèmes d'irrigation continue
Complications spécifiques :
Hémorragie : 5-10%, transfusion <5%
Perforation digestive ou pleurale : <1%
Fièvre post-opératoire : 10-15%
Fistule urinaire transitoire : 2-5%
Résultats attendus :
Taux de succès : 85-95% en stone-free
Traitement en une séance dans 80% des cas
Durée d'hospitalisation : 2-5 jours
Reprise d'activité : 2-4 semaines
V. Idées reçues et mythes sur la lithiase urinaire
Mythes alimentaires persistants
🥛 "Il faut éviter les produits laitiers" ❌ FAUX - Cette croyance très répandue est erronée :
Les apports calciques normaux (800-1200 mg/jour) sont protecteurs
La restriction calcique augmente l'absorption intestinale d'oxalates
Le calcium alimentaire se lie aux oxalates et réduit leur absorption
Recommandation : maintenir 2-3 portions de laitages par jour
🧂 "L'eau calcaire favorise les calculs" ❌ FAUX - La dureté de l'eau n'est pas lithogène :
Le calcium de l'eau est peu biodisponible
Les eaux calcaires ont souvent un effet protecteur
L'hydratation est plus importante que la composition
Recommandation : boire 2,5-3 litres d'eau du robinet par jour
🥬 "Tous les légumes verts sont interdits" ❌ PARTIELLEMENT FAUX - Seuls certains légumes riches en oxalates :
Épinards, oseille, rhubarbe : limitation justifiée
Haricots verts, courgettes, salade : consommation libre
Les légumes apportent citrates et magnésium protecteurs
Recommandation : éviter uniquement épinards, oseille, betteraves
Croyances sur les traitements
💊 "Les médicaments dissolvent tous les calculs" ❌ FAUX - Seuls les calculs d'acide urique se dissolvent :
Traitement médical dissolutif limité à l'acide urique pur
Calculs calciques : aucune dissolution médicamenteuse
L'alcalinisation urinaire efficace uniquement sur acide urique
Recommandation : analyse de composition indispensable
🌿 "Les plantes sont toujours sans danger" ❌ FAUX - Certaines plantes sont néphrotoxiques :
Thé vert en excès : riche en oxalates
Orthosiphon à fortes doses : toxicité rénale
Interactions médicamenteuses possibles
Recommandation : avis médical avant phytothérapie
🏃♂️ "L'activité physique fait descendre les calculs" ❌ PARTIELLEMENT FAUX - Effet limité de l'exercice :
Mouvements brusques inefficaces et potentiellement dangereux
Position n'influence pas significativement la migration
Activité physique utile pour prévention générale
Recommandation : exercice modéré régulier, pas de "secousses"
Idées fausses sur l'évolution
⏰ "Un calcul finit toujours par sortir" ❌ FAUX - Élimination spontanée variable :
Calculs > 10 mm : probabilité d'élimination < 10%
Certains calculs s'enkystent et cessent de migrer
Risque de complications rénales par obstruction chronique
Recommandation : surveillance médicale et traitement si nécessaire
🔄 "La récidive est inévitable" ❌ FAUX - La prévention est efficace :
Mesures hygiéno-diététiques réduisent la récidive de 50%
Traitements préventifs spécifiques selon le type de calcul
Suivi spécialisé permet d'adapter la prévention
Recommandation : observance stricte des mesures préventives
👨⚕️ "Seul l'urologue peut traiter" ❌ FAUX - Prise en charge multidisciplinaire :
Médecin généraliste : diagnostic initial, TME, prévention
Urgentiste : prise en charge de la colique aiguë
Néphrologue : bilan métabolique, prévention spécialisée
Recommandation : coordination entre spécialités
VI. Prévention et conseils pratiques
Mesures hygiéno-diététiques universelles
💧 Hyperhydratation : la règle d'or
Objectif : diurèse > 2,5 litres/24h
Modalités : répartition sur 24h, y compris la nuit
Surveillance : urines claires, densité < 1,010
Adaptation : augmenter selon climat et activité
🍽️ Modifications alimentaires ciblées
Sodium : limitation < 6 g/jour (éviter plats préparés)
Protéines animales : modération < 1 g/kg/jour
Sucres rapides : limitation (sodas, pâtisseries)
Équilibre : maintenir variété et plaisir alimentaire
Surveillance et suivi médical
📅 Protocole de surveillance recommandé
Première année : consultation à 3, 6, 12 mois
Imagerie : échographie à 6 mois, puis annuelle
Biologie : ECBU, créatininémie, uricémie annuels
Adaptation : selon évolution et observance
🎯 Objectifs du suivi
Prévention de la récidive
Dépistage précoce de nouveaux calculs
Préservation de la fonction rénale
Adaptation des mesures préventives
La lithiase urinaire représente une pathologie complexe nécessitant une approche diagnostique rigoureuse et des stratégies thérapeutiques adaptées à chaque situation clinique. Les progrès techniques récents permettent une prise en charge moins invasive avec des taux de succès élevés.
Points clés à retenir :
Diagnostic basé sur la clinique et l'imagerie moderne
Traitement adapté selon taille, localisation et composition
Prévention efficace par mesures hygiéno-diététiques
Nécessité d'un suivi spécialisé au long cours
L'Association Marocaine d'Urologie encourage la formation continue des professionnels et la sensibilisation des patients pour optimiser la prise en charge de cette pathologie fréquente et récidivante.